mardi 15 septembre 2009

Cette rue que Félix appelait

« Claire Fontaine »

Angle Tessier et Wenceslas. 29 août 2009.

Dans Pieds nus dans l’aube, un récit qu’il situe vers 1925, Félix Leclerc parle à plusieurs reprises de deux artères de La Tuque : d’abord, le boulevard Saint-Maurice, qui aboutissait aux chutes, écrit-il, ce qui devait être vis-à-vis l’usine des Brown, en aval du pont suspendu, puis la rue où sa famille habitait, qu’il nomme « Claire-Fontaine», c’est-à-dire la rue Tessier.

Les La Tuque Falls, avant l’élargissement du lit de la Saint-Maurice à cet endroit et la construction de la première petite centrale électrique de la Brown Corporation et bien avant celle de l’installation du barrage de la Shawinigan Water and Power au début des années 1940.

Les chutes de La Tuque, vues d’en aval, avec, à l’arrière-plan, le pont suspendu installé par la Brown, auquel était accroché un tuyau qui servait à alimenter en eau, jusque vers 1935, son usine de pâte à papier depuis le lac Parker, à l’Ouest.


Micheline Raîche-Roy m’a envoyé cette illustration qu’elle a trouvée lors de ses recherches pour son blogue sur Eugène Corbeil. La gravure remonte à la fin du dix-neuvième siècle et donne un aperçu des chutes et de la montagne avoisinante avant l’intervention de l’homme.

Je serais porté à penser que le trajet du boulevard Saint-Maurice comportait ce tronçon que les anglophones appelaient «Along the Bank» et qui sera modifié en 1920, lors de la construction du Community Club. La rue portera ensuite le nom de On The Bank, puis aujourd’hui celui de Beckler.

La rue Saint-Maurice en direction sud, vers 1910. On y voit le long atelier de bois de la firme Desbiens et Tremblay, et, derrière, son silo pour y emmagasiner la sciure de bois, puis le Château Saint-Maurice, bâtisse en forme de «T». L’école des anglophones, La Tuque High School, occupe l’emplacement où était situé cet atelier. La voie ferrée de gauche existe encore aujourd’hui.

La photo ci-dessous (prise le 29 août 2009) montre le butoir fixé

à son extrémité sud et l’usine, au loin.

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La rue Tessier

L’une des plus anciennes rues de La Tuque, elle a d’abord porté le nom de Lake St. John Ave., c’est-à-dire celui de la compagnie ferroviaire du Quebec and Lake St. John, compagnie née en 1894 de la fusion des société Canada-Nord et Canada-Nord-Québec (1), qui y avait fait construire la première gare de la ville.

On y distingue très bien le magasin de Léo Leclerc (2), le plus haut bâtiment portant un panneau blanc au-dessus du balcon. Le photographe a saisi quelques ouvriers de la Brown, sac à lunch à la main, se dirigeant à leur travail. On voit aussi une grosse affiche sur le côté du magasin orné d’un auvent et sur laquelle il y a deux chevaux blancs et, en gros, une date, «July 14». Au fond, la montagne, plutôt dénudée, et devant, des maisons de la rue Commerciale. Une voiture à cheval, à gauche, est stationnée devant un petit commerce. L’hôtel St-Roch n’existe pas encore.

Plus intéressant encore, c’est l’œuvre du premier photographe résident de La Tuque, «Mr. Louis Lavoie» qui a fait imprimer sa photo en «Saxony», la Saxe, un ancien comté de l’empire d’Allemagne !

Curieusement, aujourd’hui, la rue Tessier est la seule , avec la rue Saint-Maurice, à n’avoir des résidences bâties sur un seul côté, conséquence de la présence d’une double voie ferrée entre elles.

Deux vues d’une partie de la rue Tessier, au nord de Saint-Joseph, depuis l’usine de la Brown. Antérieure à 1910. Le vaste terrain vague, à l’avant-plan, sera utilisé par après pour y empiler le bois d’œuvre produit par la scierie de la compagnie. On y voit la première église de bois. Le couvent n’apparaît que sur la deuxième.

La première gare de La Tuque

La rue Tessier, vers 1910, en direction nord. La gare, à gauche, le château d’eau et quelques édifices du côté Est de la rue. On devine l’usine, plus au nord.

Jusque dans les années 1960, il y avait une voie ferrée qui longeait la rue Saint-Maurice et une partie de la rue Tessier. L’usine de la Brown, qui avait défrayé les coûts reliés à la construction du chemin de fer depuis Linton, se trouvait donc à être le terminus de ce tronçon.

Une voie de garage accueillait les wagons contenant les marchandises destinées aux marchands de la ville.

La gare, alors érigé à l’angle nord-ouest de Tessier et Saint-Joseph. Elle a par la suite servi d’entrepôt à Georges Vandelac, marchand de fruits et légumes, que Félix nomme Grandlac, dans Pieds nus dans l’aube.

Illustration tirée de l’ouvrage de Lucien Filion, La Tuque à travers ses maires.

La photo suivante, prise du clocher de la première église (en avant-plan, on aperçoit la campanile du toit du presbytère), vraisemblablement en 1910, donne une idée des travaux de construction du couvent, mais fournit aussi d’autres détails qui montrent l’état de cette partie de la ville à l’époque : la gare, la voie ferrée menant à l’usine, le réservoir d’eau pour les locomotives, la grande maison de pension, la boarding house, des cadres de la Brown, quis era démolie plus tard pour faire place au Commmunity Club. dont l'architecte reprendra les lucarnes. Cachée sous les arbres, on devine la toiture de la résidence du gérant de l’usine. On y voit aussi le mur arrière de quelque huit ou neuf maisons de la rue Tessier, en plus de l’hôtel Allard, auquel on ajoutera un étage et qui deviendra l’hôtel Victoria, rue Saint-Pierre, et quelques maisons de cette petite rue.

Montage de Gaston Gravel à partir d’une photo

fournie par Pierre Cantin.

Par la suite, la rue a été rebaptisée «Tessier», à la mémoire de Jean-Baptiste Tessier qui s’était établi sur la rive ouest de la Saint-Maurice vers 1850. Dans son essai historique, Lucien Filion laisse entendre qu’elle aurait pu aussi avoir été nommée en l’honneur du premier ministre québécois de la Voirie, Joseph-Adolphe Tessier, assermenté le 9 mars 1914, et qui restera en poste jusqu'en septembre 1921.

Jean-Baptiste Tessier et sa femme.

Photos aimablement prêtées par Réjean Berman.

Plusieurs commerces, établissements et bureaux de professionnels s’y sont installés au cours des ans. Entre autres, le docteur J. Amédée Riberdy, qui aura plus tard une pharmacie, rue Commerciale. La Mercerie Ernest Gauthier, qui fera de même. Félix précise, dans Pieds nus dans l’aube, qu’il y a avait aussi la maison de la fanfare.


Le Château Blanc

Sur cette illustration, tirée de l’ouvrage de Filion, c’est le bâtiment surmonté d’une tourelle, qui deviendra le Saint-Roch (3), érigé à l’angle sud-est de Saint-Joseph, voisin de l’épicerie et quincaillerie de François-Xavier Lamontagne. Tout au coin, dans une petite échoppe à même l’hôtel s’établira, des années plus tard, le barbier Béliveau, que Félix décrit dans son livre comme «un type assez grand, maigre, pointu du derrière des épaules à la tête, qui sentait l’eau de Cologne…»

Départ du défilé du Dominion Day, en 1915. On notera le char allégorique de la Brown Corporation, ainsi que le Château Blanc, à gauche, et ensuite le magasin de Léo Leclerc, surmonté d’un drapeau.

Illustration tirée du livre de Lucien Filion.

Le téléphone

La Compagnie de téléphone a eu son premier bureau, en 1910, dans un édifice appartenant à Bernard Keenan et Achille Comeau (qui sera le premier maire de la municipalité Village La Tuque), à l’angle Commerciale et Tessier. C’est d’ailleurs la municipalité qui fournissait l’eau nécessaire aux locomotives du Québec et Lac Saint-Jean : 0,02 $ le gallon (en mai 1910). Pas cher le litre ! La compagnie Desbiens et Tremblay se chargeait de ce service.

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La rue Tessier, au fil du temps

Vue de l’usine de la Brown et ses importants tas de pitounes, et du quartier qu’on appelait «L’aut’ bord du lac» : on devine la rue Tessier et on voit bien les rues Saint-Michel et Saint-Honoré. En avant-plan, la voie ferrée du Transcontinental et le commerce de matériaux de construction de Jos. Lambert, de nos jours l’entreprise Joseph-Élie Tremblay. Vers 1920.

C’est en 1920 que la rue connut son premier trottoir de ciment pour remplacer celui en bois, tout un événement, décrit par Félix :

«... une équipe d’ouvriers armés de piques, de crocs-barres, de leviers et de marteaux, envahirent la rue Claire-Fontaine, un beau matin, et se mirent en frais de démolir le trottoir de bois…»

«Note beau trottoir de bois, tortueux et usé, qui faisait poliment des détours pour ne pas se buter contre les arbres, qui, en maints endroits, protégeait de vielles herbes folles et des familles entières de grillons, ce chef d’œuvre du père Richard dut disparaître à son tour puisque chaque chose disparaît à son tour.»

La rue Tessier et «L’aut’ bord du lac», vus d’un autre angle. On y aperçoit un bout des rues Saint-Paul et De la Plage. Deux morceaux d’architecture de cette photo ont disparu du décor : la grange étable de la compagnie berlinoise du New Hampshire, rue Brown, érigée du temps du vétérinaire Jim Monahan, en 1921, et l’école primaire Saint-Michel.

Sensiblement la même vue, le 22 mai 2006.

Le syndicaliste Émile Boudreau, qui a écrit sur La Tuque, entre autres sur la rue des Anglais (la rue On the Bank) et qui a publié ses mémoires, est arrivé ici à l’âge de six ans. Sa famille demeurait à quelques maisons de celle d’un gros marchand de bois de chauffage, Léo Leclerc, le père de notre écrivain et chansonnier. «Devant notre maison, de l’autre côté de la rue, il y avait l’embranchement du chemin de fer qui desservait la ‘shop’ des Brown.» (Un enfant de la grande dépression, p. 141). C’est lui, le sympathique personnage de Fidor, l’Acadien, qui accompagne le narrateur de Pieds nus dans l’aube.

Un édifice à la forme plutôt originale

C’est la voie ferrée menant à l’usine qui aura en quelque sorte décidé de la forme peu commune de l’édifice érigé à l’angle de trois rues : Commerciale, Tessier et Scott.

L’édifice triangulaire, aperçu depuis la rue Scott. On peut voir le campanile de l’hôtel de ville, rue Commerciale.

Avec le temps, ce triangle architectural a rétréci et est devenu un losange. On a dû en détruire une partie à la suite d’un incendie. Photo : mai 2006.

Wencesclas Plante, du temps où il fut maire, habitait en face de cet édifice triangulaire, angle Commercial et Scott. Cette carte postale, signée Léon Côté, montre un cocher et son attelage attendant le magistrat. On peut lire, sur la plaque apposée à la façade, RUE COMMERCIALE. À l’arrière-plan, une maison de la rue Saint-Maurice.

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GRAND NORD

(1) Dans cet article paru dans le Saturday Budget de Québec, le 3 mai 1890, et commentant le rapport annuel de la compagnie Quebec and Lake St. John Railway pour 1889, il est question de la construction d’une ligne de chemin de fer depuis le nord de Saint-Raymond-de-Portneuf jusqu’à La Tuque, puis le lac Témiscamingue, ainsi que l’établissement d’un système de transport de passagers par vapeur, sur la Saint-Maurice, des Piles à La Tuque.

(2) En 1926, le père de Félix part pour l’Abitibi. Il a l’intention de se lancer dans une nouvelle aventure commerciale. Cet entrefilet, tiré de «La Gazette de La Tuque», une page du journal La Gazette du Nord, édition du 12 novembre 1926, dont le responsable est Aldori Dupont, mentionne une visite de l’entrepreneur à La Tuque, où est restée sa famille.

(3) Longtemps inutilisé, l’édifice a été l’objet de rénovations récentes et a retrouvé sa vocation d’antan : en bel après-midi du samedi 29 août, quelques Latuquois et Latuquoises communient au houblon, sur la terrasse Chez Zak, sous l’ombre de l’impassible clocher de l’église Saint-Zéphirin.

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Annexes

JEUNES LATUQUOISES À LA RECHERCHE DE L’ÂME SŒUR.

Dans son récit autobiographique, Félix écrit ceci à propos de sa sœur Hélène, «la belle fille» … qui a décidé de quitter l’école :

«Elle a dit adieu à sa boucle noire et à son voile de couventine.

Ses études semblaient terminées Des revues et magazines de modes remplaçaient ses livres d’école. Toutes les deux heures, elle courait au bureau de poste, soit pour y déposer des lettres qu’elle baisait avant de les livrer à la boîte, ou pour en recevoir. Je ne sais trop qui lui envoyait des feuilles d’érables ou des trèfles par correspondance, mais cette verdure la rendait vraiment songeuse…»

En fouinant dans Internet, je suis tombé sur cette colonne du Passe-Temps, consacrée aux petites annonces dont certaines m’ont fait penser aux lignes de Félix sur sa soeur.

Une colonne plutôt mauricienne et surtout latuquoise, car trois demandes de correspondants proviennent de La Tuque et une autre de Shawinigan.

Deux sœurs se font concurrence : Violette Américaine et Rose Canadienne ! Elles n’ont pas regardé à la dépense, chacune ayant payé sa propre annonce. Ce qui n’est pas le cas de ces résidants de Sainte-Lucie, au Lac-Saint-Jean, plutôt radins, qui se sont inscrits à trois !

Un samedi matin du printemps 1960…

… à la piscine du Brown Community Club. Le Nouvelliste, mai 1960. Archives Hervé Tremblay.

Quelques membres de l'escadron latuquois des cadets de l'Air de La Tuque, des sexagénaires actuels de la ville, dont Robert Cantin (rangée du milieu, mains sur les hanches), Jacques Boutin et Michel Guillemette, assis à droite, qui s'y reconnaîtront peut-être, posent pour cette photo datant de presque un demi-siècle. Les jeunes cadets y recevaient des cours de natation donnés par l’instructeur Jacques Bélanger (qui sera plus tard un promoteur du marathon de nage «Les Vingt-Quatre Heures de La Tuque») et le responsable, Réjean Berman (à sa gauche). Le Club était un endroit bien vivant de la ville à cette époque.

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