lundi 16 mars 2009

LA TUQUE 1919
Quelques échos de l’usine
de la BROWN CORPORATION



C’est en juillet 1919 qu’une équipe d’employés de la Brown Company, papetière établie en 1852 à Berlin, au New Hampshire, lance le premier numéro du Brown Bulletin. Il fait suite à une première publication, BURGESS SCREENINGS.

Dès cette première livraison, une section y est consacrée aux activités des établissements de la Brown Corporation, raison sociale de l’entreprise états-unienne au Canada. On y trouve donc de petites nouvelles sur l’usine de La Tuque et son personnel. Elles sont surtout liées aux cadres, anglophones, et aux employés de bureaux et des chefs des différents départements. Comme la publication s’adresse d’abord aux gens de la Brown, il n’est pas toujours facile d’identifier avec précision de qui il est question ou encore quel est leur emploi.
Le Bulletin s’attardera à signaler, et dans bien des cas, à célébrer, les faits et gestes des membres de la haute direction, à décrire les améliorations apportées aux installations ainsi que donner des nouvelles des opérations de la Brown dans diverses régions du Québec, depuis Windigo, Sanmaur et La Loutre, en Haute-Mauricie, jusqu’à Rivière-Madeleine, en Gaspésie, en passant par Bersimis, sur la Côte-Nord et Sainte-Marie-de-Beauce et Québec. Les concessions forestières de la Brown sont vastes, pourtant elle n’a qu’une seule usine de transformation en territoire canadien : l’usine de La Tuque.

Les déplacements du surintendant adjoint, B. Bjorlund, Suédois d’origine et grand amateur de chasse, d’ailleurs surnommé «Moose» (l’Orignal), sont décrits et on ne manque pas de parler de ses exploits sportifs.

La boarding house dont il est question ici est cette grosse maison de pension située rue St-Maurice où logent les cadres et semi-cadres, ainsi que les employés de bureau, tous célibataires. J'en reparlerai.

En cette année 1919, il est fait souvent allusion à la Grande Guerre qui vient de se terminer. Les gars qui sont allés au front ont pu reprendre leur travail à l’usine.

Simmons Brown, le gérant de l’usine est l’objet ici de compliments. On ne manque pas de rappeler qu’il a servi à la Première Guerre mondiale qui s’est terminée l’année précédente.
La pêche et la chasse sont populaires et font l’objet de nombreux commentaires. Un employé du bureau de l’usine, Ed Moore, serait sans doute le meilleur pêcheur à la ligne du coin s’il ne passait pas son temps à réparer l’équipement de ses amis et collègues.

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De temps à autre, mais plutôt rarement, quelques références à des employés francophones. Il est vrai que très peu nombreux sont ceux qui détiennent un poste de commande.

Ainsi, le correspondant du Bulletin s’interroge, dans un entrefilet plutôt osé pour l’époque, sur l‘identité des jeunes femmes qui auraient rendu visite à Albert Parent, pendant son quart de travail de quatre heures à minuit, question d’agrémenter son travail.

Il mentionne également qu’un certain I. T. Gagnon est l'un des quilleurs de la Brown qui ont remporté les honneurs d'une rencontre contre des équipes de la ville formées de commerçants et d’employés de banque.


Un paragraphe célèbre une opération de nettoyage effectué par Jos Houle dans la cour de l’usine.


Le collaborateur latuquois du Bulletin signale aussi les améliorations apportées au matériel et à l’équipement de l’usine. Il signale que les chevaux seront dorénavant logés dans une étable toute neuve, bâtie derrière la cour à bois, tout près de la rue Brown, à l’extrémité nord des rues St-Honoré et St-Paul. La bâtisse a longtemps servi d’entrepôt avant d’être démolie en 1998.

L’étable de la Brown, The Brown Bulletin, décembre 1921.

Une triste nouvelle
Un dessinateur à l’emploi de la division forestière, Paul Fréreault, arrivé à La Tuque l’année, précédente, et ses deux fils, dont l’un travaillait au bureau des présences (time office), se sont noyés lors d’une partie de pêche.

Carte postale éditée, vers 1915, par L. Côté, premier photographe résidant de La Tuque montrant la montagne qui a donné son nom à La Tuque et la côte abrupte dite de la «power house». À droite, visible en partie, la grande demeure du patron de l’usine, rasée par un incendie d’origine mystérieuse, dans la nuit du 5 juin 2004. Archives d’Hervé Tremblay.
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dimanche 1 mars 2009

Myrtho Gauthier, notre première romancière

À La Tuque, on se souviendra sûrement d’avoir vu, au Téléjournal de Radio-Canada, les reportages d’une dame Gauthier, au prénom peu usuel de Myrto. Sait-on, par contre, que cette journaliste est originaire de notre ville ? Qu’elle est l’auteure en 1947 du tout premier roman écrit par quelqu’un d’ici à avoir été édité en librairie ? Bien sûr, les gens vont me rappeler qu’il y avait eu en 1946 le fameux Pieds nus dans l’aube, du grand Félix Leclerc, qui en était déjà à son quatrième ouvrage. Le livre avait paru à la fin de l’année précédente, mais ce n’était pas un roman. C’est un récit autobiographique, non une véritable fiction. Le roman de madame Gauthier est une histoire inventée, qui se passe en Égypte, bien loin de La Tuque.

Page de couverture du roman LA DAME DE SAHIB, paru en décembre 1947,
à Montréal, aux Éditions Valiquette.
Sauf indication contraire, illustrations et documents
sont extraits de mes archives personnelles.


Myrto Gauthier est née, le 30 décembre 1923, à La Tuque, dans une famille qui comptera 10 enfants, dont sept survivront. Son père, Charles Gauthier, était de La Croche et travaillait comme journalier à l’usine de la Brown Corporation. Il est décédé le 27 janvier 1985. Éloïde Gauthier, son grand-père, a eu un moulin à scie aux Piles détruit par un incendie. Il a décidé de le reconstruire à La Croche. Sa mère, Azilda Couture, avait été en 1918, l’année précédant son mariage, la ménagère d’Eugène Corbeil, le curé fondateur de la paroisse Saint-Zéphirin de La Tuque. Elle est décédée le 8 janvier 1957 et toute sa vie aura été consacrée à sa famille.

Les enfants Couture-Gauthier posant devant le domicile
familial, rue Saint-Antoine, à La Tuque. Debout, de gauche à droite : Laurent, Laurence, Fernande (décédée en janvier 2008), Myrto et Paul. Assis : Robert et Collette.

Après ses études primaires et secondaires chez les sœurs de l’Assomption, elle a fréquenté l’École normale des ursulines, à Trois-Rivières, pour devenir institutrice. En 1941, elle va donc enseigner à l’école primaire de la rue Desbiens.

Myrto Gauthier chez les ursulines de Trois-Rivières.

Par la suite elle travaillera à la Canadian International Paper et à La Tuque Téléphone. En 1951, elle donnera des cours de préparation au mariage. Par la suite, elle se rend à Ottawa, pour travailler au ministère des Affaires étrangères, puis à Montréal, où elle est recherchiste pour la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme. Comme elle est douée pour les langues, elle en parle cinq (à La Tuque, elle aimait échanger en portugais avec un voisin), elle entre en 1965 au service des nouvelles de Radio-Canada. Elle a été appelée, par exemple, à couvrir les funérailles du pape Pie XII et l’avènement de Jean XXIII, en 1958. À la fin des années 1970, elle est nommée correspondante en Angleterre. C’est la deuxième femme seulement à être nommée à l’étranger. Au moment de prendre sa retraite, elle était attachée de presse. Elle a été secrétaire de l’Association provinciale des employés à la retraite de Radio-Canada.

En 1982, un article du troisième volume du Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec nous permet de connaître l’intrigue du seul roman de Myrto Gauthier. On y constate que son récit a suscité peu de commentaires dans les revues et les journaux. Quatre seulement, dont celui du quotidien libéral du temps, Le Canada, et celui de la Revue de l'Université Laval.


La notice biographique contient des erreurs, dont celle de
penser qu’en 1940 La Tuque était un «village».

Myrtho Gauthier a remporté des prix lors de concours littéraires, dont celui de Radio-Canada, en 1946. Un texte à caractère historique, « Autour d‘un édit», lui mérite un troisième prix et il sera diffusé à la radio.

Micheline Roy-Raîche, native de La Tuque, m’a gracieusement fournie cette
coupure de presse de 1946, retrouvée dans les archives de sa belle-mère,
Claire Gervais-Roy, premier prix du concours.
Sur cette photo, Myrto Gauthier a 21 ans.

À la droite de Myrto Gauthier (deuxième à partir de la droite), Bella Mercier Rochette,
une Latuquoise, dont l’œuvre présentée à ce concours a aussi été diffusée à Radio-Canada.
Coupure tirée de l’hebdomadaire Radio-Monde, 6 mai 1946,
et aimablement fournie par Micheline Raîche-Roy.


Le fonds d’archives des éditions Valiquette, à la Bibliothèque nationale du Québec, à Montréal, contient une lettre de Bernard Valiquette. Elle date du 24 juillet 1947 et est adressée à Myrto Gauthier, 82, rue Saint-Antoine, à La Tuque. L’éditeur lui annonce que son roman, LA DAME DE SAHIB, sera tiré à 2000 exemplaires et qu’il sera disponible en décembre.

On peut revoir un reportage de Myrto Gauthier à Radio-Canada, celui de l’élection de Margaret Thatcher : http://archives.radio-canada.ca/c_est_arrive_le/05/03/.

Grande adepte du jeu Scrabble, elle a participé à plusieurs tournois. On trouve cette phrase de l’un de ses textes, transcrite dans une page consacrée à ce jeu :
«Pour les yeux voilés d'une sombre hétaïre raffinée qui dansait le slow chez Mackav, un gitan jaloux et timbré s'est poignardé.» – Myrto Gauthier («Drame sur les bords du Guadalquivir»).

Elle aime toujours se rendre à l’étranger. Elle revient tout juste d’un séjour dans les Caraïbes, en compagnie de sa sœur Collette.

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