lundi 7 février 2011





















Du bois au béton

De BORDELEAU à DANSEREAU

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Les ponts couverts témoignent d’une époque et rappellent les moyens de locomotion d’antan, en particulier la voiture tirée par le cheval.

LE « VIEUX PONT ROUGE »

C’est ce type de construction qui, pendant près d’une trentaine d’années permettait d’enjamber la Petite et la Grande Bostonnais, les rivières situées aux extrémités sud et nord de La Tuque avant que le béton s’impose comme matériau, plus solide, plus stable.

Les quatre « B »

Ces deux ponts couverts portaient curieusement le même nom, Bordeleau, celui du député libéral provincial de l’époque, Bruno Bordeleau (1868-1929). Dans ce temps-là, un politicien ne prenait pas de chance et prenait les bons moyens pour s’assurer que son nom – et ses œuvres – passent illico à l’histoire. C’est ainsi que le petit député n’a pas attendu qu’on prononce son oraison funèbre : il s’est assuré qu’on baptise les deux ponts de bois de son nom.

Bruno Bordeleau (1868-1929), médecin, maire de Sainte-Thècle de 1912 à 1916, année où il est élu député de Champlain. Il le sera de nouveau en 1919 et en 1923.

Celui du nord, installé à angle sur la grande Bostonnais, en vint à être surnommé le « vieux pont rouge ». On en avait demandé l’installation dès 1912, et c’est sept ans plus tard, en mai 1919, semble-t-il, que le député Bordeleau procédera à son inauguration, en même temps s’emble-t-il que l’autre, plus petit, jeté sur la Petite Bostonnais, tout juste en haut des chutes, plus en aval que l’actuel ouvrage de béton de la 155.

Lors de son inauguration, écrit Aldori Dupont dans son manuscrit relatant l’histoire de La Tuque, le chef de police avait fait installer des affiches interdisant d’y fumer et d’y trotter. On y avait fait installer cinq lampes électriques de 100 volts chacune.

Toujours selon Dupont, ce serait sur l’insistance d’Hippolyte Michy, alors curé de La Croche, mais aussi vicaire à Saint-Zéphirin (il baptisera Félix Leclerc), que la Ville se décidera, en 1917, à ériger ce pont couvert au bout du chemin menant à La Bostonnais, après avoir fait l’acquisition de terrains pour prolonger la chemin Bostonnais vers la rivière. Un ouvrage pas trop bien construit puisque, l’année suivante, il aura besoin de réparations et que la Ville fera appel à une subvention du gouvernement provincial pour replacer les piliers de bois.

Jusque-là, on construisait, chaque année, un pont temporaire, que la crue printanière se chargeait de charrier. CÉtait bien avant que se forme là la grande étendue d’eau retenue par le barrage érigé en 1939-1940. En 1913, la Ville aurait versé un octroi de 125 $ à E. M. McLaren, un employé de la compagnie Laurentide Pulp Mills, qui a une usine à Grand-Mère, pour qu’il en installe un cette année-là. La compagnie a des chantiers forestiers au nord de la Grande Bostonnais.

À droite, la maison du fermier des Brown et l'immense grange rénovée et devenue le Club Latuquois.

Françoise Bordeleau m'a rappelé qu’au chapitre V de son récit autobiographique, Pieds nus dans l’aube [1], Félix Leclerc faisait allusion à ce pont installé de travers et en signalait l’allure insolite :

«Après la ville, écrit-il, ce fut le cimetière que papa salua du doigt, et après le cimetière, une côte sablonneuse en zigzag, le long des champs. Je reconnus les deux bœufs [2] de la procession de la Saint-Jean-Baptiste, qui travaillaient à essoucher dans une prairie. De loin, nous vîmes un pont couvert, drôlement bâti, près duquel flânaient des pêcheurs...»

Sur ce plan de ville de 1943, on voit clairement la position du pont couvert à l’extrémité de la rue Bostonnais. À noter la quasi officialisation du nom du lac Abattoir qui, en fait, était une petite baie, créée à la suite des eaux de la Saint-Maurice retenues par le barrage récemment construit.

Détail tiré du plan réalisé par la Shawinigan Engineering pour le rapport annuel de la ville de La Tuque, en 1943. Aimablement fourni par Roland Boudrault.

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En 1934, de nouvelles réparations s’avèrent nécessaires. Le pont est un lien essentiel vers La Croche.

En 1942, circuler sur le pont couvert était devenu dangereux. On y avait d’ailleurs interdit, depuis quelques années, l’accès aux charges lourdes. Une délégation se présenta donc à La Tuque pour étudier la situation. Parmi ces politiciens, le ministre libéral de la Voirie, Damien-Télesphore Bouchard. On jugea bon de le remplacer.

Voici l’endroit choisi pour la construction du nouveau pont de béton, parallèlement à celui du Canadien National. La configuration de l’embouchure de la Grande Bostonnais a changé quelque peu avec la construction du barrage de la St. Maurice Power (une filiale de l Brown Corporation) et de la Shawinigan Water and Power, achevé en 1940.

Et on lança un appel d’offres. En septembre, on trouve un peau trop élevées celles qui ont été soumises.

Le maire Omer Journault, le gérant municipal Armand Gagnon et les échevins se rendirent à Batiscan pour rencontrer les parties concernées et discuter du problème. Finalement, l’année suivante, le chantier était lancé : le bois allait céder sa place au béton.

Les travaux de construction sont confiés à Onésime Boisvert, un entrepreneur de Shawinigan.

Sur cette photo, on aperçoit le vieux pont rouge, encore en service, mais auquel on a enlevé le toit. Probablement en a-t-on utilisé le bois pour les besoins du nouveau. On est en temps de guerre !

L’entrepreneur de Shawinigan est fier d’annoncer la fin des travaux.

Le Nouvelliste, 23 octobre 1943. Archives d'Hervé Tremblay.

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L’ouvrage en béton, destiné aussi à faire partie d’une future route menant à Roberval, au Lac-Saint-Jean, érigé parallèlement au pont ferroviaire du Canadien National, porterait le nom de Dansereau, puisque c’est Georges-Étienne Dansereau (1898-1959), député d’Argenteuil, qui, le 15 mars 1944, succèdera, comme ministre de la Voirie, à Bouchard, qui venait d’être nommé sénateur. Il ne demeurera en poste que cinq mois à peine, mais suffisamment longtemps pour donner son nom au nouveau pont.

En 1944, selon ce qu’affirme Aldori Dupont dans son histoire de La Tuque, la Ville aurait acheté d’Alex Georgieff, pour la somme de 3000 $, le terrain qui menait à l’entrée sud du pont. Dans le livre récemment paru sur le centenaire de la ville, on indique que ledit terrain aurait été cédé pour la somme de… 1 $. Qui croire ?

À noter que les approches du nouveau pont sont en gravier : il faudra attendre des années avant que l’on procède au macadamisage de ses approches.

1946 : démolition de ce qui reste du vieux pont couvert Bordeleau. C’est la fin de l’époque des ponts couverts à la périphérie immédiate de La Tuque.

Le pont Dansereau à l’été 1947.

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À la fin du dix-neuvième siècle, un illustrateur, L. R. O’Brien célébrait déjà la beauté tranquille de la Grande Bostonnais. Son illustration, naturellement présentée sur le mode romantique, montrant deux canots d’écorce, parut le 22 juin 1889 dans le Harper’s Weekly.


Trois scènes de cette rivière, prises à l’été 1945.


Le rapide Cassé.

Le rapide Laprise.

Le rapide Laprise.


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Au SUD


Les chutes de la Petite Bostonnais, en 1916




En mai 1919, le député Bruno Bordeleau est de passage à La Tuque pour l'inauguration officielle du second pont couvert, installé à la tête des chutes de la Petite Bostonnais, mais situé en dehors des limites de la ville.


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Sensiblement à la même époque, dans les années 1940, on démolit le pont couvert de la sortie sud, qui ne fait pas cependant partie de la ville pour le remplacer par une ouvrage en béton, installé plus en amont, sur l'actuel parcours de la 155.


Photos illustrant ce chantier de construction, dont le nouveau tracé de la route.


En direction sud

En direction nord.


Élargissement du pont, dans les années 1960. Archives de Françoise Bordeleau.


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Il reste deux ponts couverts, en très bon état, dans le secteur de La Bostonnais : les ponts Ducharme et Thiffault, construits au moment, ou presque, où l'on démolissait les ponts Bordeleau.



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[1] Drôle de coïcncidence, le livre de Leclerc paraît en 1946, année de la démolition du pont «drôlement bâti».


[2] Ces deux bœufs appartenaient à Alexandre Georgieff est un des pionniers défricheurs de la ville. Il était d’origine bulgare. La photo de deux de ses enfants maniant une charrue tirée par ces deux bêtes a fait le tour du pays. J’y reviendrai.

En 1953, on a remis la médaille de bronze de l’Ordre du défricheur à son fils, Steven, qui fut aussi laitier. Archives de Françoise Bordeleau.



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